Le Mouvement Républicain Populaire reste un sujet d'étonnement pour beaucoup de nos compatriotes et d'observateurs
étrangers. On comprend mal le développement sans précédent d'une organisation qui, en moins de deux ans, est
devenue l'une des plus grandes forces politiques de France. Et le fait qu'en dépit de cette crise de croissance
singulière, le MRP, loin de voler en éclats, ait conservé et même durci son unité, surprend davantage encore.
Il n'y a pourtant là rien de mystérieux : un peu de mémoire et de réflexion suffit pour comprendre. Dans la
vie des peuples, aucune force ne surgit du hasard. Moins que tout autre, ce Mouvement n'est pas une génération
spontanée. La violence des attaques déclenchées contre lui de toutes parts est d'ailleurs la meilleure preuve
que ses adversaires eux-mêmes voient en lui bien autre chose qu'un phénomène spectaculaire et passager.
Les fondateurs du MRP n'avaient certes pas prévu qu'il lui faudrait affronter toute une série de campagnes
électorales et porter d'énormes responsabilités avant d'avoir patiemment et solidement construit sa charpente
dans le pays. Tout bien pesé, il ne faut rien regretter. Si le MRP n'avait pas grandi aussi vite, si, ne
comptant que sur ses réflexes et sur l'enthousiasme généreux de ses premiers adhérents, il n'avait pas immédiatement
jeté dans la balance politique toutes les énergies qu'il suscitait, les libertés pour lesquelles la France
s'est battue pendant six ans seraient peut-être déjà balayées. Evidemment, nous n'avons pas réalisé toutes
nos ambitions - nous n'avons pas honte à le reconnaître - mais nous avons du moins sauvé pour l'avenir toutes
les chances d'une démocratie rénovée.
Ces chances il s'agit de les faire valoir. La tâche est tout juste commencée : or, elle est immense. C'est
pourquoi, les nouvelles institutions républicaines étant maintenant sur pied, les militants que nous sommes veulent
aller au delà des réflexes du départ ; ils veulent se recueillir pour comprendre, plus clairement et plus gravement encore,
les raisons profondes de leur engagement.
Nous ne sommes pas venus à la politique pour nous vanter simplement de quelques succès électoraux ni pour défendre des
intérêts contre d'autres intérêts, mais pour servir une cause qui dépasse notre propre vie. La nature de cette cause, qui
est la raison d'être de notre Mouvement, est aussi la raison d'être des sacrifices auxquels chacun de nous, à tout moment,
doit être prêt.
Les équivoques que certaines campagnes malveillantes ont essayé de créer autour de nous, nous avons voulu les dissiper une
fois pour toutes par les décisions officielles d'un Congrès national, et en profiter pour réfléchir, mieux que nous n'avions
pu le faire jusqu'à présent, aux devoirs que comportent selon notre idéal le service de la patrie et le service du peuple.
Quand nous avons annoncé que ce congrès rappellerait, pour les confirmer officiellement, les lignes essentielles de notre
doctrine politique, quelques esprits forts dans le voisinage, ont haussé les épaules. "Qu'importe la doctrine, disaient -ils,
seule compte l'action immédiate". A peine est-il besoin de leur répondre. Il est trop évident qu'on ne peut agir utilement
sans savoir où l'on va. Une politique à la petite semaine conduit à la plus décevante inefficacité. Les initiatives qu'exige
la succession des événements ne peuvent échapper à la contradiction que si les options décisives ont été faites, car les
problèmes particuliers qui surgissent dans les domaines les plus divers ne sont que les aspects multiples d'un grand drame
humain. Autant il faut se garder de théories abstraites, sans contact avec la vie réelle, autant il faut veiller à ne pas
sombrer dans l'improvisation et l'incohérence faute d'avoir perçu le mouvement de l'histoire, d'avoir compris les données
fondamentales du problème de civilisation que pose notre époque, d'avoir eu le courage de réfléchir et de s'engager selon
une ligne nette.
Point n'est besoin de faire appel à l'imagination pour dégager cette ligne. Il s'agit de consacrer en droit une orientation
que nous avons suivie en fait, sans hésiter, depuis la première heure.
Le MRP est né d'une conjonction remarquable entre deux facteurs décisifs de notre vie nationale. D'une part, un courant
d'esprit bien antérieur, attaché aux valeurs issues de la civilisation chrétienne et qui sont traditionnelles pour le peuple
français : la liberté, la justice, la fraternité, le respect de l'homme. D'autre part, l'intense besoin de libération et de
renouvellement éprouvé par ce peuple dans sa lutte contre l'envahisseur et contre un régime inhumain que la force lui
imposait.
Déçus par les anciennes organisations politiques, des millions de Français se sont tournés spontanément vers un mouvement
nouveau, vibrant de jeunesse, parce qu'ils y trouvaient les aspirations qui, de longue date, montaient confusément du fond
de leur cœur. Rompant avec l'ordre établi, répudiant les routines anciennes, ce Mouvement déclenchait dans le pays libéré
une action dont les ressorts idéologiques étaient ceux-là mêmes qui avaient soulevé la Nation contre l'ennemi.
Le MRP ne s'expliquerait pas sans les formes diverses d'action intellectuelle, sociale, politique qui l'ont précédé, avant
la dernière guerre, mais il s'expliquerait moins encore sans la Résistance. C'est pourquoi nous lisons à l'article 2 de ses
statuts nationaux : "Le MRP a pour objet de poursuivre dans le cadre des institutions républicaines renouvelées, une action
politique démocratique suivant les principes qui ont animé la Résistance". La Résistance, c'est-à-dire, le combat contre les
régimes totalitaires, le combat pour la libération de la France et la libération de l'homme, confondues dans une même cause.
Cette libération pour laquelle nous combattions ne s'arrêtait pas aux frontières du territoire. Elle signifiait pour nous
l'engagement formel de lutter contre toutes les formes d'oppression qui pèsent sur l'être humain, contre les oppressions passées
aussi bien que nouvelles ; l'engagement de lutter aussi, et d'une même volonté, pour protéger à travers tous les périls l'indépendance
française, pour rendre toujours plus unies les énergies de la Nation, pour que la France reste fidèle à sa mission historique.
Du premier manifeste MRP : LIGNES D'ACTION POUR LA LIBERATION, rédigé dans la clandestinité et diffusé dès le 25 août 1944,
il est important de citer deux textes qui restent pour nous une véritable charte :
"La liberté de l'homme ne doit pas être mise en cause par une tyrannie quelle qu'elle soit, politique, économique, intellectuelle
ou spirituelle. Nous condamnons toute forme d'Etat totalitaire qui porterait à la liberté la plus grave atteinte en voulant
s'emparer des consciences…"
"Il faut libérer l'homme de toutes les oppressions, de toutes les servitudes qui empêchent son plein développement. Il
s'agit essentiellement de libérer l'homme de la tyrannie de l'argent. Il faut une rupture avec le système capitaliste".
Ceux et celles qui depuis 1944 sont venus grossir les rangs du MRP, à un titre quelconque sont supposés, naturellement, être
d'accord sur ce qui est la signification même de ce Mouvement.
Transformer les institutions politiques, économiques et sociales pour qu'elles favorisent de plus en plus le développement de
l'homme, tel est le but du MRP. La distance qui sépare la réalité actuelle des choses et cette immense ambition détermine la
mesure de notre tâche. Mais, pour agir utilement dans la tempête des événements, la conviction d'avoir raison ne suffit pas.
Il faut prendre conscience de l'évolution historique dans laquelle nous prenons notre place, des immenses questions qu'elle
soulève et des courants de civilisation qui, en s'affrontant aujourd'hui à travers le monde, menacent de disloquer vainement
une humanité légitimement assoiffée de bonheur et de paix.