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L'originalité du M.R.P.
L'originalité du M.R.P.
par Pierre-Henri TEITGEN
Le MRP ne procède pas seulement du courant démocrate-chrétien mais aussi d'une abondante transfusion dans ce courant
d'un sang nouveau qui lui vient de la Résistance. Dès le premier jour, il fait appel et rassemble beaucoup de ceux
qui, sous l'occupation nazie, quelles que soient leur classe sociale, leurs convictions philosophiques et leur appartenance
politique d'avant-guerre, ont rêvé pour le jour de la Libération d'une démocratie rénovée, politique mais également
économique et sociale, au service de la Justice dans la Fraternité.
Le texte du Manifeste adopté à l'unanimité par le Congrès constitutif appelle une observation importante. Il utilise à
plusieurs reprises le terme "Révolution" qu'il empruntait, à l'époque, au vocabulaire enthousiaste de la Résistance,
mais ce n'est pas bien entendu d'une révolution violente qu'il s'agissait mais d'une révolution "par la loi"
comme nous l'avons sans cesse répété après Georges Bidault.
Le MRP n'était pas un parti confessionnel.
Une constatation est également indispensable : le MRP n'a jamais voulu être et n'a jamais été un parti confessionnel.
Y ont adhéré des chrétiens des Eglises catholique et protestante, des chrétiens sans Eglise mais aussi nombre d'agnostiques
qui n'entendaient se réclamer que des valeurs de notre culture judéo-chrétienne.
Comme l'écrit fort bien Emile-François Callot (" L'action et l'œuvre politique du MRP " ; Ed. Champion-Slatkine, 1986,
p. 133).
"Ni sa dénomination, ni ses statuts ne réfèrent le MRP au christianisme et encore moins au catholicisme. Dans ses
programmes que nous avons examinés nous n'avons trouvé aucun objectif spécifiquement confessionnel, et aucun problème
n'a paru posé en fonction d'un problème religieux ; le seul point où une collusion semble possible est celui de la défense
de l'école libre ; or nous avons noté qu'elle est toujours présentée comme une défense des libertés familiales et nous
verrons même que sur ce point l'accord entre MRP et la hiérarchie fut loin d'être parfait.
Nulle part nous n'avons vu intervenir dans les débats de ses congrès ou dans les décisions de son bureau une consultation
quelconque des autorités religieuses ni même la préoccupation de connaître l'opinion de ces autorités. Parmi ses membres
et ses représentants nous avons trouvé des catholiques pratiquants, des chrétiens (et même une gauche chrétienne), des
protestants, des israélites et des libres penseurs. Reste enfin que lorsqu'il se déclare un parti de démocratie chrétienne,
il fait référence au christianisme non comme une foi religieuse dont l'orthodoxie serait contrôlée par une autorité, mais
à une philosophie spiritualiste qui a pris naissance avec le christianisme et qui est devenue le fondement moral de
la civilisation moderne européenne.
Rien donc à l'analyse de sa doctrine, de ses programmes, de son personnel ne permet de déceler une liaison quelconque
organique à l'Eglise, liaison qui ne fut jamais envisagée et qui parut aux fondateurs capable de compromettre leur
entreprise."
Si le MRP n'était certes pas un parti confessionnel, il demeure qu'une philosophie spiritualiste, celle du personnalisme
communautaire, inspirait son manifeste de départ et a sous-tendu par la suite sa doctrine et ses programmes.
Sa doctrine
Cette philosophie était pour l'essentiel celle qu'a d'abord exposée Emmanuel Mounier et qu'a sans cesse développée,
précisée et actualisée dans les publications du MRP son maître à penser, l'admirable Etienne Borne :
- rupture radicale entre l'ordre humaniste et le "désordre établi",
- éminente dignité de la personne humaine dont les fins sont supérieures à celles de l'Etat et contre laquelle ne saurait prévaloir aucune raison d'Etat,
- opposition de la personne, engagée et responsable dans ses communautés de vie, à l'individu perdu dans sa solitude,
- opposition d'une société communautaire à l'Etat jacobin,
- opposition tant à une société libérale "malade de l'argent" qu'à un socialisme "malade de l'Etat"
- opposition au système capitaliste moins pour des raisons économiques que pour des raisons morales,
- vanité d'une révolution des structures que n'accompagnerait pas une révolution des mœurs.
Ni totalement de gauche, ni totalement de droite au sens vulgaire de ces mots, le MRP se voulait donc au centre
de l'arc-en-ciel politique.
Mais, grand Dieu ! ce centre n'était pas pour lui le marais des compromissions en tous sens, mais le lieu d'une répudiation
et d'un appel.
Une répudiation
Un rejet de la stratégie qui prétend réduire la politique à l'affrontement de deux blocs, l'un et l'autre prisonniers
de leurs extrémistes, dans une guerre sans merci :
-
le bloc de toutes les formations qui se situent à droite mises dans le même sac au mépris de distinctions
essentielles, sous le couvert de slogans misérables, telle "l'union des nationaux (ou des libéraux) contre
les marxistes",
-
le bloc de toutes les formations qui se disent de gauche, mises elles aussi dans le même sac, au mépris également
de distinctions essentielles, au nom de "la discipline républicaine pour l'union de la gauche" contre la réaction.
Les fondateurs du MRP exécraient ce manichéisme.
Un appel à la tolérance et un carrefour à la recherche des convergences
A la politique de gladiateurs, des poings tendus, des violences, des calomnies et des injures réciproques, il opposait
une politique de tolérance dans un effort constant de lucidité, de loyauté et de compréhension de l'autre. Dans la
République, il attachait autant de prix à la fraternité qu'à la liberté et à l'égalité.
Comme l'a écrit Etienne Borne :
"Il va de soi qu'une opposition, telle que la conçoivent des hommes qui font profession d'humanisme, doit exclure
l'invective et la véhémence du ton qui ne sont nullement le signe des convictions fortes ; c'est au contraire lorsque
les motivations sont médiocres, animées par le désir d'une revanche à prendre, que le langage s'enlaidît et se dégrade.
La violence verbale n'est que le bégaiement de la parole.
La contestation peut être vive, le jugement sévère, mais à condition de se tenir à un certain niveau intellectuel et
moral qui n'en rend que plus percutants la contestation et le jugement".
Dépasser la cassure gauche-droite
Mais aussi le MRP se souciait beaucoup moins de savoir contre qui il lui faudrait être que de déterminer les objectifs
qu'il devrait poursuivre et avec qui.
Il savait bien qu'il existait à gauche et à droite des hommes - et souvent de première valeur - qui souhaitaient se
soustraire aux pressions de leurs extrémistes et pouvaient se rencontrer en dépit de leur philosophie et de leurs
motivations différentes pour la sauvegarde de valeurs humanistes. Entre eux, il voulait jeter un pont et le croyait
d'autant plus possible que beaucoup avaient appris dans la Résistance à se connaître et à s'estimer.
La recherche des convergences lui semblait d'ailleurs indispensable au fonctionnement de la démocratie.
Toute démocratie comporte nécessairement une majorité au pouvoir et une opposition, l'alternance restant ouverte.
La France étant ce qu'elle est, divisée comme elle l'est, la majorité pour l'être et le rester au moins l'espace d'une
législature ne peut être, hors circonstances exceptionnelles et passagères, que pluraliste. Elle sera d'ordinaire
constituée d'une alliance de partis de philosophies et de sensibilités différentes mais capables cependant de se mettre
d'accord pour un temps sur un programme concret de gouvernement, de maintenir entre eux durant ce temps une concertation
loyale et permanente, de se consentir mutuellement les compromis nécessaires à la réalisation du programme.
C'est cela, en France du moins, la démocratie et, pour les fondateurs du MRP, le centrisme c'était cela.
Dès lors, le MRP se sentait disponible pour constituer dans l'alternance démocratique (si ses priorités étaient acceptées
et fût-ce au prix d'ajournement de quelques-unes de ses exigences moins essentielles), ou bien l'aile humaniste d'une
majorité de centre gauche, ou bien l'aile sociale d'une majorité de centre droit, ou mieux encore l'axe d'une majorité
de large entente.
Pierre-Henri TEITGEN
Les lignes qui précèdent sont extraites du livre de P-H Teitgen : "Faites entrer le témoin suivant". 1940-1958 De
la Résistance à la Vè République - Ed. Ouest-France.
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